
Un mot du président, l’avant, la découverte, les débuts de l’aventure Blocnote, ses suites, une certaine idée du caillou
Comme dans la célèbre nouvelle de Poe, la lettre volée, au cours de laquelle le narrateur cherche désespérément la dite lettre, non pas volée finalement mais posée sur son bureau, il faut parfois du temps pour saisir l’évidence.
Il y a à peine un an, ayant fini par croire que je ne retrouverais jamais ma propre lettre, je tournais littéralement en rond aux Roches de la Moulure, un site de bloc que nous avions redécouvert et remis en l’état l’année précédente avec quelques grimpeur(se)s motivés . Aussi, je ne tardai pas à devenir expert en tours de bloc et autres combinaisons farfelues d’un intérêt parfois franchement douteux.
Des trop rares séjours à Fontainebleau qui, au cours de cette période, continuaient à donner sens à ma pratique, je ne retenais que l’écart entre les 27000 passages référencés sur Bleau Info et les 80, en tirant bien, du topo des Roches de la Moulure que nous venions d’éditer. Sur le chemin du retour de ce haut-lieu de l’escalade, assis sur la banquette arrière, je tâchais de retenir l’instant en me laissant dériver d’une image à l’autre ou bien en me concentrant sur des détails, des choses qui ne prennent pas plus d’un dixième de seconde, pourtant amples comme un paysage et d’une complexité infinie. En général ce sentiment s’étiolait avant arrivée à destination, au mieux perdurait-il jusqu’à la nuit, faisant une dernière incursion au détour d’un rêve.
Certains m’encouragèrent à faire de la voie. Je continuai à faire des ronds, aussi tard que possible ; puis ce fût l’hiver, à savoir 2 ou 3 mois d’une humidité telle que les forêts et les pierres qu’elles abritent ne sèchent pas sauf exception, soit un retour à « la salle » comme on dit aujourd’hui, comme disent les adeptes du fitness et autres coureurs virtuels.
Acculé, je pris la fuite. Je savais à peu près où j’allais, vers des lieux familiers, là où était l’enfance de ma grimpe. Là était la lettre. À quelques centaines de mètres d’un site visité des années plus tôt pour les mêmes raisons, la même lettre. Elle était là, dans la continuité de la crête au bout de laquelle se dressait un piton gréseux de près de 30m mais n’était nul bloc. Je n’ai pas ouvert la lettre tout de suite, ni tout seul, les membres de ce qui deviendrait Blocnote déjà au bout du fil comme on disait dans le temps.
Son contenu nous a immédiatement surpris par sa densité. Une première lecture effectuée en diagonale, sous la neige, nous laissa ébaubis. Comment une telle concentration de cailloux est-elle demeurée inaperçue ? Comment n’étions-nous pas venus nous-mêmes plus tôt, plutôt que de tourner en rond ?Les fois suivantes le sentiment d’être en présence de quelque chose de majeur, plus vaste que nous l’avions d’abord imaginé, nous saisit franchement, et encore aujourd’hui, de nouvelles découvertes, des blocs que nous n’avions pas ou mal vus, concluent chaque nouvelle exploration. Et il y a d’autres lettres. Pas loin d’être aussi prometteuses, dispersées ci et là sur les meubles de nos appartements. Des lectures ramenées de nos vagabondages que nous nous évertuerons de traduire petit à petit ici-même. Des livres que nous ferons tourner, topos et autres.
Aujourd’hui je peux l’avouer je n’ai plus « si » envie de me rendre à Fontainebleau pour le week-end, quelque culte que je voue par ailleurs à l’endroit. Aujourd’hui même, à quelques kilomètres du lieu où j’écris ces lignes, j’ai encore une fois fait l’expérience d’un rare moment d’escalade sur un site ouvert il y a environ deux ans, dans une ligne jusqu’alors dédaignée, en partie à raison, sa position en bout d’une barre rocheuse, à l’ombre la plupart du temps, ainsi que sa modestie, ne laissant pas présumer la suite remarquablement harmonieuse de mouvements nécessaires à la bonne lecture de sa partition.
Les mois derniers ont été l’occasion de nombre de ces moments où l’on se dit que l’herbe n’est peut-être pas plus verte ailleurs. Et qu’importe finalement. Qu’importe le paysage, le climat, la beauté plastique du rocher j’oserais même dire, quand il y le mouvement, celui qui exigera du grimpeur qu’il réinvente proprement son escalade. Le mouvement se suffit bien à lui-même. En cela la pratique du bloc s’apparente à de la danse plus que de quelque autre sport que ce soit , une danse dirigée par la contrainte physique du rocher.
On peut danser n’importe où, dans les plus beaux théâtres comme dans les rues les plus malfamées, comme on peut grimper n’importe où. Je me souviens : l’ennui du collège et au milieu, en couverture d’un hors-série de Grimper, un anglais en chemise effectuant un croisé effrayant dans une dalle coupée au couteau dans de l’ardoise noir, Johnny Dawes, un type aussi effrayant que génial, ses paroles plus tard dans l’interview, quant à un spot, un mur de briques couvert où il s’entraînait et avait accessoirement ouvert certains des passages dont il était le plus fier. Un anti-héros dans un milieu relativement aseptisé. Une figure que j’imiterais maladroitement à l’adolescence et dont je me remémore aujourd’hui avec à la fois plus de nuance et de familiarité l’appartenance à une forme de contre-culture, le goût du jeu et du risque, l’inventivité.
Si les Vosges ne seront jamais le Tessin, ni même Annot, le jeu est le même en l’un et l’autre lieu. En s’investissant dans un travail exhaustif d’ouverture de sites à travers le département, Blocnote parie sur un développement local de la pratique dans les années à venir. Un travail qui saura profiter nous l’espérons tant à l’ensemble du territoire, tous acteurs confondus, qu’au milieu des bloqueurs, aussi largement que possible.
Brosser. Répertorier. Partager. Encore une fois.
2 Comments
Ok. Après cette lecture, comment ne pas vouloir se laisser envahir par la poésie de ce qui s'apparente à une étreinte fusionnelle avec les éléments, avec l'invisible ? Comment refuser de se laisser aller à une gestuelle soit efficace soit maladroite mais toujours tournée vers l'harmonie ? Merci de raviver plus que jamais le plaisir lié aux subtils déplacements que notre corps ébauche pour s'affranchir de la pesanteur.
envie de dire juste merci ... et de partager .... encore merci pour l' envie que ça procurre .....